mercredi 11 avril 2012

Courte fiction : Un jeune homme au cœur pur

                        Ma chère tante,

            Je viens de recevoir ta lettre qui ne m’a pas causé la vive joie que notre contact épistolaire me procure d’ordinaire : je suis peinée du mal que tu penses d’Albert, après toutes ces années. Tu t’es laissé abuser par la médisance et les racontars des langues de vipère qui abondent au village.
            En lisant les mots qui suivent, je suis bien sûre que tu te rendras compte qu’Albert n’était pas le monstre qu’on a décrit, mais un ange calomnié, victime des événements et de la méchanceté de ses semblables. 
            Son voisin l’accusait d’être dévoré d’orgueil. Ce n’était pas tant la vanité d’Albert qui était patente, que la jalousie du voisin. Celui-ci enviait la beauté, la prestance et les manières raffinées d’Albert, lui dont la laideur et la rusticité suintaient par tous les pores (je devrais écrire porcs). D’ailleurs, l’orgueil, père de l’ambition et de la réussite, est plus une vertu qu’un péché en ces temps troublés.
            D’ambition, Albert n’en manquait pas, malgré un sort adverse. Misérable chômeur famélique, courageuse victime de notre société inégalitaire et inhumaine, il est allé trouver le maire, l’homme le plus riche de la contrée. Avec douceur, Albert lui a demandé un modeste emploi, adjoint au maire. L’autre, si opulent, aurait pu faire un geste de compassion. Prétextant que le poste était pourvu, le cœur de pierre ne lui a offert qu’un simple poste d’employé municipal, exigeant, tel un tyran cruel, que le jeune homme fasse ses preuves. Quels arguments fallacieux et choquants crachait cet abject personnage ! Je suis persuadée, ma chère tante, que tu en es toute retournée comme je le fus à l’époque. Albert n’était pas fier mais il ne pouvait accepter un travail si en dessous de ses capacités même s’il n’avait aucun diplôme et n’avait pas encore eu la chance de travailler à trente ans passés.
            En sortant de la mairie, mû par l’audace de son merveilleux caractère, il a décidé d’agir pour sortir de l’impasse.
Il a juste emprunté la Porsche du maire afin de chercher un travail. C’était vital pour le pauvre Albert et le maire possédait plusieurs autos. Mais le vil individu a porté plainte auprès des gendarmes, figure-toi ! Je crois qu’Albert a revendu la Porsche pour donner l’argent aux pauvres, tel le Robin des Bois moderne.
            C’est ce soir-là que je l’ai rencontré alors que je me promenais dans les bois près du village. Il avait sur lui plusieurs bouteilles d’alcool. Les mauvaises langues te diront qu’il était ivrogne et qu’il avait dépensé ainsi le produit de la vente de la Porsche. Mais c’est faux ! Pauvre, pauvre Albert avait besoin d’un remontant, écrasé par les soucis causés par l’indigence et le perfide maire.
            Et quel gentleman il était ! Ô ma chère tante ! De nos jours, il n’existe plus d’homme aussi galant ! Il m’a offert à boire. À satiété. Quelle générosité ! Je tiens tout de suite à préciser que sa réputation lubrique était calomnieuse. Il était un jeune homme chaste et tempérant. Seulement, sa candeur ignorait les effets maléfiques de l’alcool. J’ai tant bu ce soir-là que je ne me rappelle pas ce qui s’est passé. Mais je me suis retrouvée enceinte. C’est la boisson du diable qui a égaré sa pudique vertu, n’en doute pas, ma chère tante. La luxure était étrangère à cet homme de bien.
            Il est vrai qu’ensuite, apprenant ma grossesse, il s’est sauvé sans un mot. C’est parce que ma mère, ta sœur, croyant bien faire, a commis la sottise de porter plainte auprès des gendarmes pour viol. C’est alors que les événements se sont précipités, hélas. Sans cette méchante bourde, il m’aurait épousée, sois-en persuadée, quelques années plus tard. Car à l’époque des faits, je n’avais pas treize ans.        

Fin de la première partie.

Seconde et dernière partie ici.

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5 commentaires:

  1. J'attends la suite des aventures du pauvre, pauvre Albert !

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  2. Une chute complétement inattendue :o Excellent !!

    J'attends la suite avec impatience :-)

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  3. Préparez-vous à quelques surprises plus grandes dans la seconde partie !

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  4. Excellent cette manière de prendre à contrepied la situation, un humour qui met la société à mal en lui renvoyant quelques vérités à la face !

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  5. Merci de ton commentaire pertinent.
    Il s'agit en effet d'une satire sociale.

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