mardi 29 mai 2012

Sketch : L’erreur est humaine


— Alors Momo, explique-moi ce qui a foiré pour qu’on se retrouve dans une telle merde !

— Eh bien, tout a commencé au poil, pourtant. On avait préparé avec soin tout le matos : voiture rapide, postiches, armes à feu…

Le visage d’Ernest rosit. Ses poings se contractent.

— Bien commencé… Faut le dire vite ! À propos de la voiture volée…

Une quinte de toux interrompt Ernest.

— Te fâche pas Ernest. Quand tu hausses le ton, ça insécurise Ahmed qui a déjà du mal à respirer.

— Crétin ! rugit Ernest. Il respire plus depuis un moment.

— Ah ? Bon. Enfin, façon de parler. Ça devait arriver, il a toujours été de santé fragile. Chaque année, il nous choppait la grippe. J’lui disais : « Coco, va te faire vacciner ». Tu crois qu’il m’écoutait ? Que dalle ! Voilà le résultat…

— Y a pas de vaccin contre les bastos calibre 38 ! explose Ernest. Oh, mais si maintenant que tu m’y fais penser : t’étais censé nous procurer des gilets pare-balles.

— Ah ! Ouais, mais ils étaient trop petits, ceux que j’ai dénichés. On aurait paru engoncés.

Le visage d’Ernest vire au rouge vif. Il grimace en se tenant l’épaule.

Engoncés… Abruti ! Il est pas engoncé grave, maintenant, Ahmed ?

— Te fâche pas, Ernest. C’est pas bon pour ton épaule. Tu retardes la guérison.

— C’est toi le retardé ! Pour que je guérisse, faudrait déjà extraire la balle. Où diable est la trousse à pharmacie ?

— Ah, ben j’l’ai oubliée dans le feu de l’action. L’erreur est humaine, non ?

— Oh, l’abruti ! Si encore c’était ta seule connerie…

— Ne te polarise pas sur mes quelques petites bourdes. T’es trop négatif, c’est ça ton problème. Rappelle-toi plutôt mes idées qui frôlent le génie. La voiture, par exemple.

— Parlons-en de la voiture ! hurle Ernest.

Il est aussitôt pris d’une violente quinte de toux.

— Dis donc, tu nous ferais pas une grippe, toi aussi des fois ? Euh, bon, la voiture, j’ai pensé que ce serait bien qu’elle soit camouflée.

Camouflée… répète Ernest en secouant la tête.

— Ben oui, j’ai volé une caisse de flics pour pas éveiller les soupçons quand on arriverait devant la banque. Astucieux, non ?

— Sauf qu’une bagnole de flics volée, ça passe pas inaperçu, Momo, n’est-ce pas ?

— Ben, j’avais changé les plaques, mais il restait la peinture. Sinon, c’était plus une voiture de flics, quoi…

— C’est comme ça qu’ils ont pincé Boris.

— Ah ! s’exclame Momo. Tu sais que j’aime pas dire du mal des gars de la bande, mais bon, Boris, il était pas assez discret. Je dirais même plus : il manquait de furtivité.

— Forcément ! Une voiture de flic, ça aide pas à faire le ninja.

La toux repart de plus belle.

— Ernest, je regrette d’insister, mais faut vraiment que tu prennes plus soin de ta santé. Tu t’énerves et la plaie de ton épaule s’est rouverte. Tu pisses le sang grave, c’est pas propre. Quand on aura soigné ton épaule, faudra qu’on s’attaque à tes nerfs.

— Oh, ils sont déjà bien attaqués, mes nerfs…

— Essaie de penser : « Zen »,  « guérison »

— C’est le braquage catastrophique qui m’obsède.

— J’ai fait de mon mieux, Ernest, j’te jure. Ok, dans la banque j’ai un peu merdé. Pourtant en général, j’suis un pro du casse.

Un pro du casse, qu’il dit… murmure Ernest les larmes aux yeux.

— Tu vois, c’est tes nerfs… Ouais, ok, y a eu comme un bruit bizarre qui m’a stressé. J’ai cru que l’alarme se déclenchait. Au même moment, y a une cliente qui a mis la main dans son sac. Elle allait sortir un gun, c’te morue. Sûrement une fliquesse en civil. Heureusement que j’ai des réflexes de ninja, comme tu dis. J’l’ai pas loupée, la poufiasse !

— Oh non, tu l’as pas ratée ! Elle cherchait à éteindre son portable dans son sac. T’as pris la sonnerie du portable pour l’alarme, bougre de triso !

— C’est un malheureux concours de circonstances.

— Surtout pour Aldo. Ta bastos a traversé le corps de la femme et l’a tué sur le coup.

— Au moins, il a pas souffert. Tu vois, Ernest, dans la vie, souvent à quelque chose malheur est bon. C’est rassurant, non ?

Rassurant

— C’était une perte collatérale, un tir fratricide, comme à la guerre. L’important, c’est qu’on s’en soit tiré, nous deux, non ?

Les pleurs d’Ernest se transforment en sanglots. Il parvient à articuler :

— On est cernés. Les flics vont donner l’assaut.

— Je les laisserai pas te prendre vivant. Tu es un caïd de la trempe de Mesrine. Tu vas rentrer dans la légende de la grande racaille : la mort plutôt que la taule. On n’a plus de munitions mais il me reste mon cutter. Bouge pas, ce sera moins douloureux.

— Au secours ! Police !
 


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mardi 22 mai 2012

Critique de Sin City par Frank Miller (BD)


Sin City, une BD noire culte qui a été adaptée en film. Sin City, une série de romans néo-polars graphiques. Sin City, la Mégapole du Péché.

Dans le premier opus, Marv, le héros est un garçon dont la philosophie est aussi fine que ses muscles énormes. Quand son contrôleur judiciaire (une lesbienne qui est la seule femme à pouvoir le supporter) lui déconseille la vengeance car la prison serait l’enfer, il rétorque, je cite :

« L’enfer c’est pas s’faire défoncer la gueule ou s’faire tailler en rondelles. C’est pas non plus s’faire traîner devant un jury d’tapettes. L’enfer c’est quand on s’réveille tous les putains d’matins et qu’on sait pas pourquoi on est là, pourquoi on respire. »

Autrement dit, il préfère être passé à tabac, jugé, emprisonné et même tué que de ne pas avoir de but dans l’existence…

Une belle femme accepte de faire l’amour avec lui et de passer la nuit dans ses bras. Il est ravi, il ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Le bonheur, toutefois, ne l’empêche pas de se souler à mort et du coup, il ne se réveille pas quand un gusse vient tuer sa nouvelle partenaire amoureuse. Comme il n’a presque jamais l’occasion de s’accoupler, il décide qu’en une heure de lucidité éthylique il est tombé amoureux de cette fille formidable. Il entreprend de la venger. Ça lui fait un but dans la vie, il est ravi.

C’est un garçon qui a des joies simples. Il aime picoler, cogner, torturer et tuer. Mais attention, il a son code d’honneur. Il ne torture et tue que les méchants. Heureusement pour ses pulsions, la ville en regorge. Les autres, c’est comme les filles, ils ne les trucident qu’occasionnellement. Il faut aussi préciser qu’il souffre de problèmes mentaux qui l’obligent à prendre des cachets.

Vous l’aurez compris, c’est un univers glauque, cruel, corrompu et ultra-violent. Sexy aussi : les femmes sont curieusement toutes jeunes, jolies, minces, pourvues de formes généreuses et dénudées. Mais sa gonzesse préférée, c’est son arme à feu, à qui il parle et qu’il a baptisée Gladys. Quand on dit qu’il est cinglé.

Le dessin est assez époustouflant. En noir et blanc, le contraste entre ombre et lumière est une merveille.

L’histoire est racontée à la première personne et Marv exprime ses monologues intérieurs par de longs textes, une caractéristique profonde et assez rare dans une bande dessinée.

Les volumes suivants, qui ne se suivent pas et racontent chacun une histoire complète, sont encore meilleurs. Le dessin est encore plus magnifique, la violence moins gore, le scénario plus subtil. Le thème général est : un homme est amoureux d’une femme. Il se débat pour la venger ou la sauver. La Belle au bois dormant, version moderne. C’est ça : sleeping beauty. La fille est passive et très belle. Elle attend son prince charmant.

Comment autant de talent peut être concentré dans un seul homme ? L’art du crayon additionné à celui de la plume, ça s’approche du génie quand on sait que Frank Miller a tâté aussi de la péloche en tant que scénariste.

Le top du top de la bande dessinée noire (et blanche), pour lecteurs avertis.



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mercredi 16 mai 2012

Nouvelle courte : Le garde du cœur


Vous vous rappelez les moments extraordinaires qu’on a vécus ensemble ? Quand vous étiez la méga-star de la chanson il y a vingt ans. C’était chaud, hein, patronne ? Vous m’en donniez du souci avec vos fans qui se jetaient sur vous, vos exigences à vous rendre dans des endroits pas safe du tout, sans compter tous ces dingos que vous fréquentiez. J’étais vraiment utile à l’époque, hein patronne ?

Et pourtant… C’est un autre genre de protecteur qu’il vous aurait fallu, pas vrai patronne ? Tout ce talent artistique, la pression, la gloire, c’était pas facile à gérer… Moi, je pouvais vous protéger des gens, mais pas des pensées destructrices ni des idées noires. Vous aviez besoin d’un garde du cœur et de l’esprit. L’ennemi venait de l’intérieur, hein patronne ? Ne dit-on pas que ce sont les concepts qui enchaînent l’humanité ? La solitude parmi la multitude, le regard oppressant de l’Autre, les devoirs liberticides et aliénants imposés par la société… Quel garde de l’esprit pourra nous débarrasser de ces prisons mentales ?

Il ne faut rien regretter. Vous vous êtes accomplie comme peu d’humains. Il vaut mieux vivre intensément que se trainer d’ennui puis de vieillesse. Vous avez vécu alors que tant d’autres végètent.

Maintenant vous semblez en paix, assoupie comme le dormeur du Val. Avec la nature autour de vous : l’élément liquide vous enveloppe entièrement. L’écrin de la baignoire est le sarcophage d’une sirène.
 

À la mémoire de Whitney Houston (1963-2012)



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samedi 12 mai 2012

Les éditions de l’Abat-Jour publient un feuilleton de Lordius


Les éditions de l’Abat-Jour, qu’on ne présente plus (sauf à cliquer sur le lien), viennent de démarrer la publication d’un feuilleton de Politique-Science-Fiction de Lordius :


Tous les lundis, un épisode court mais concentré en parodie est diffusé sur le site de l’éditeur.


 

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       Le joueur de Dostoïevski (un grand classique d’une longueur digeste)

mercredi 9 mai 2012

Critique : L’Unique et sa propriété de Max Stirner


Date de parution : 1845
       Genre : essai philosophique sur la nature humaine

Max Stirner fut un philosophe berlinois de la première moitié du XIXème siècle. Son ouvrage majeur, L’Unique et sa propriété a dès sa parution provoqué des débats houleux. Il a influencé de nombreux penseurs dont Marx, Albert Camus et bien d’autres. Il fait partie des ouvrages fondateurs de l’anarchisme individualiste. Il aurait eu aussi une influence sur le nihilisme de Nietzche et sur l’existentialisme.

Dans la première partie, Stirner nous fait prendre conscience des chaînes qui emprisonnent l’esprit humain. Ces entraves sont les idées, les concepts, les idéaux qui aliènent l’individu depuis l’aube des temps.

D’abord il y eut les dieux puis Dieu, dont le joug fut écrasant (dogmes, concept de péché donc de culpabilité, pratiques religieuses, etc…). Depuis la période moderne (en Occident, s’entend), d’autres idéologies nous aliènent : patriotisme, communisme, étatisme, humanisme…

Stirner émet une idée intéressante : la religion classique a été progressivement remplacée par celle de l’Homme, de l’humanité : « La religion de l'humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion chrétienne ». L’Esprit Saint ne se trouve en pratique que dans les humains, les seuls à posséder un esprit. Cela explique pourquoi les mœurs sont de plus en plus clémentes depuis l’Antiquité, l’esclavage a disparu et la peine de mort recule : il est péché d’asservir ou de tuer les représentants du dieu humanité.

Stirner refuse la sacralisation de ces idées, rejette tout ce qui prétend se situer au-dessus de l’individu. Ce sont les hommes qui ont créé ces idées. Elles ne lui sont donc pas supérieures. Pourtant, elles se sont détachées de leur créateur qui les a placées à tort au-dessus de lui.

Dans la seconde partie, Stirner nous éclaire sur la nature profonde de l’individu. C’est l’égoïsme. Les humains sont tous mus par leur intérêt propre. Les altruistes ne sont que des égoïstes qui cherchent leur satisfaction dans celle des autres. Stirner s’emploie à transformer ce terme d’ordinaire péjoratif en quelque de sain et surtout de naturel : c’est ainsi que nous sommes.

Mais égoïste ne signifie pas isolé ni nuisant aux autres. En fait, les humains s’allient souvent en associations d’égoïstes pourvu que chacun y trouve son compte.

Cet égoïsme revendiqué et assumé se base aussi sur la notion d’unicité de l’individu, qu’il nomme l’Unique. L'Unique est souverain, il ne s'aliène à aucune personne, ni aucune idée, et considère l'ensemble du monde comme sa propriété dans le sens où il s'approprie tout ce que son pouvoir lui permet de s'approprier.

Un ouvrage majeur, très en avance sur son temps et sur le nôtre. Nous ne sommes pas prêts de briser nos chaînes ni d’accepter notre vraie nature. Stirner aide à faire un pas sur le long chemin de l’Unique vers la liberté.
 
Quelques citations classées par thème :

Sur le sacré :

« Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une ‘dévotion’ ; aucun sentiment n'est sacré (il n'y a pas de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, etc.), aucune foi n'est sacrée. Pensées, sentiments, croyances sont révocables et sont ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la crée. »
 

Sur l’État :

« Ce sont mes tyrans État, Religion ou conscience qui sont libres, et leur liberté fait mon esclavage. Il va de soi qu'ils mettent en pratique, pour me réduire, le proverbe ‘la fin justifie les moyens’. Si le bien de l'État est le but, le moyen d'y pourvoir, la guerre, se trouve sanctifié ; si la justice est le but de l'État, le meurtre comme moyen devient légitime et porte le nom sacré d'’exécution’, etc. La sainteté de l'État déteint sur tout ce qui lui est utile. »

« La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'Eglise : l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. »



Sur l’Unique :

« J'aime Moi aussi les hommes, non seulement les individus mais chacun. Mais je les aime avec la conscience de l'égoïsme : parce que les aimer Me rend heureux et qu'aimer M'est naturel, parce que cela Me plaît et je ne connais pas de ‘commandement de l'amour’ ».

« Sans doute ai-je des ressemblances avec les autres, mais elles n'ont de valeur que pour la comparaison et la réflexion: en fait, je suis incomparable et unique. Ma chair n'est pas leur chair, mon esprit pas leur esprit. »
 

Sur l’amour (s’adressant à sa partenaire amoureuse) :

« J'ai découvert en toi le don d'ensoleiller et d'égayer ma vie, et j'ai fait de toi ma compagne. Il se pourrait aussi que j'étudiasse dans le sel la cristallisation, dans le poisson l'animalité, et chez toi l'humanité, mais tu n'es jamais à mes yeux que ce que tu es pour moi, c'est-à-dire mon objet, et en tant que mon objet, tu es ma propriété. »
 

Et le bouquet final, sur la continuité de la religion :

« La crainte de Dieu proprement dite est, depuis longtemps ébranlée, et un ‘athéisme’ plus ou moins conscient, reconnaissable extérieurement à un abandon général du culte, est devenu involontairement la note dominante. Mais on a reporté sur l'Homme ce qu'on a pris à Dieu, et la puissance de l'Humanité s'est accrue de ce que la piété a perdu en importance : ‘l'Homme’ est le Dieu actuel, et la crainte de l'Homme a remplacé l'ancienne crainte de Dieu. Mais comme l'homme ne représente qu'un autre être suprême, l'être suprême n'a fait que se métamorphoser, et la crainte de l'Homme n'est qu'une autre forme de la crainte de Dieu. Nos athées sont de pieuses gens. »




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Pour en finir avec Dieu, de Richard Dawkins (essai philosophique sur la religion)
       La Mangaka française (nouvelle brève de Lordius ; thèmes : création artistique et folie)

samedi 5 mai 2012

Les Éditions de l’Abat-Jour publient une nouvelle de Lordius !


Les Éditions de l’Abat-Jour publient des romans au format numérique, des feuilletons hebdomadaires et une revue d’idées numérique thématique trimestrielle.

Cet éditeur se définit comme : « Une maison d’édition anticonformiste, qui mettra en avant des textes insolents et audacieux, à l’humour noir et à l’originalité revendiqués. »

C’est ainsi que l’Abat-Jour a mis en avant et en lumière une nouvelle de Lordius :


Les nouvelles publiées sur le site ont l’intéressante particularité d’être gratuitement téléchargeables au format pdf. On peut donc ensuite tranquillement les lire et les relire sur sa liseuse numérique ou son smartphone.

Notons au passage l’humour fameux du fondateur, Franck Joannic, illustré par l’interview qu’il a accordé fin 2010.
 

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mercredi 2 mai 2012

Nouvelle courte : La Mangaka française


Je l’ai tué parce qu’il me battait. En attendant mon jugement, j’ai été écrouée dans une prison pour femmes. Les autres détenues étaient dures. Le temps était lent. Alors je me suis mise à dessiner pour m’évader. J’étais prof de dessin. Il y avait plein de mangas à la bibliothèque de la prison. C’est comme ça que j’ai démarré.

Dessiner des mangas que personne ne lit, à quoi bon ? C’est pourquoi j’ai passé mes créations à mes codétenues. Leur enthousiasme m’encouragea. Elles sont devenues plus douces. Mes histoires s’inspiraient des grands classiques japonais : de l’action violente stylisée saupoudrée d’humour, de beaucoup d’humour car j’avais besoin de rire et de faire rire. Les personnages devaient se montrer attachants, les péripéties haletantes, et surtout les bonnes idées recyclées sans cesse et sans vergogne. C’était la recette éprouvée de mes maîtres japonais. J’ajoutai ma touche personnelle : un peu de romantisme dans ce monde manga de brutes.

J’ai eu le temps de m’entraîner, de peaufiner mon art : trois ans de préventive avant le jugement. J’ai envoyé mes planches à des éditeurs. Glénat, le plus prestigieux éditeur de mangas en langue française, m’a acceptée juste quand je passais aux assises. La justice est lente comme le temps en détention. Heureusement pour moi, elle est clémente envers les femmes, peut-être parce que les juges sont souvent des femmes. Je fus acquittée. Glénat me publia. Le succès fut immense. On saluait en moi la Toriyama française, la nouvelle Takahashi.

De toute part, on me pressait de poursuivre mon œuvre. Hélas, il y avait trop de distractions en liberté. Je n’arrivais pas à me concentrer. Page blanche. Ma vie sans création devint insipide. Je me mis à penser à la prison avec nostalgie. Je décidai d’y retourner. Je défrayai la chronique de mes frasques, comme tant de stars perturbées. Mais on refusa de m’enfermer. En désespoir de cause, je cherchai même un amant à tuer. Sans succès. Alors je me suis enfermée chez moi. L’inspiration revint à ce prix.

Je ne peux plus sortir maintenant. C’est la rançon de ma créativité. Les blouses blanches ont diagnostiqué un cas sévère d’agoraphobie. Ces pauvres psys sont jaloux de ma gloire. Ils ne comprennent pas le fardeau de mon génie artistique.

Le salon dans lequel je dessine mes mangas est devenu trop vaste. Il fait fuir mon inspiration. C’est décidé : demain je m’installe dans la salle de bain.

  

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