mardi 13 novembre 2012

L’animalisme ubuesque

       Dans les années 80 déjà, Frédéric Dard, alias San-Antonio, l’auteur le plus lu des Français durant la seconde moitié du XXe siècle, s’en étonnait. Il avait eu le malheur, dans son roman Y a-t-il un Français dans la salle ? d’écrire une scène de torture de chat. Alors qu’il avait dépeint dans d’autres romans de nombreuses scènes de tortures et de tueries d’humains sans déclencher la moindre réaction, il reçut une bordée de lettres d’injures et de menaces à propos de l’animal martyrisé. Nul doute que si ce chat n’avait pas été fictif, Frédéric Dard aurait été assassiné par un vengeur animaliste.

C’est ce qui a failli arriver à Jean Favre, un artiste belge provocateur. Il a réalisé une vidéo de lancer de chat dans les escaliers de la mairie d’Anvers. Certains chats ont mal atterri, car ils ont besoin d’une surface plane pour bien se réceptionner. Malgré ses excuses et bien qu’aucun chat n’ait été blessé, il a été agressé sauvagement (bestialement ?) par sept individus courageux dans le nombre, et a dû être placé sous protection policière.

On pourrait penser que cet animalisme frénétique dérive de l’humanisme si en vogue depuis le XIXe siècle. Bien qu’excessif dans ses réactions, il serait assurément louable si sur la planète, on tentait vraiment de traiter correctement les animaux. Ce qui est sidérant dans cette affaire, c’est le décalage entre d’une part l’indignation pour quelques chats peu endoloris et d’autre part la façon égoïste et cruelle dont on traite les animaux sur l’ensemble de la planète.

Les animaux sauvages, c’est bien connu, se font de plus en rares, exterminés par la croissance de la population humaine. Certaines associations comme le WWF tentent d’enrayer le massacre en proposant des aides matérielles aux hommes pour qu’ils arrêtent de détruire la nature. On voit bien que jamais les humains ne tempèrent leur bien-être volontairement pour faire de la place aux animaux. Bientôt ne resteront que les animaux en captivité dans les zoos, les rats, quelques espèces d’insectes et d’oiseaux. Les souffrances des animaux sauvages sont telles, qu’en proportion du lancer de chat, elles devraient lancer nos sept courageux justiciers animalistes dans une croisade exterminatrice de l’espèce… humaine.

Les animaux de compagnie sont-ils mieux traités ? Beaucoup sont maintenus en captivité, pour le plaisir de leur maître. Les oiseaux et hamsters en cage, par exemple. Mais aussi les chats. Quand ils vivent en étage en immeuble, beaucoup de ces pauvres bêtes ne sortent jamais, de peur de les perdre. Ça ferait tant de peine à leur maître qui ne se demande pas s’il vaut mieux un chat libre dehors ou bien enfermé à vie.

Et les animaux de boucherie ? Un milliard de morts par an en France, tout de même… Il faut bien manger, voyons ! Certes, mais si on avait un peu de compassion, on mangerait peu de viande, à la fois pour des raisons écologiques et animalistes évidentes. Or c’est le contraire qui se produit : n’écoutant que leur bon plaisir, les gens se gavent de plus en plus de viande. Et l’étiquette « élevé en plein air » n’est pas destinée à témoigner d’un animaliste souci des conditions d’élevage souvent effroyables. Elle sert juste à témoigner d’un goût meilleur de la viande. Donc encore pour satisfaire le bien-être égoïste des humains. En comparaison de l’innocent lancer de chat, nos sept courageux justiciers animalistes doivent immédiatement prendre les armes et trucider tous les gros qu’ils croisent ! Combien de centaines de vies animales, le meurtre de chaque gros porc-humain épargnerait-il ? On pourrait aussi calculer combien chacun de nos kilos superflus tue d’animaux…

Qu’ils soient sauvages, de compagnie ou destinés à finir sous les dents de leurs bourreaux, il y a tout à faire pour améliorer le sort des animaux. Monsieur Jean Favre n’est pas leur pire tortionnaire, loin s’en faut…

 

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