mercredi 5 décembre 2012

Le maire et l’enfant, par Lordius


D’après une histoire vraie
 
Plus de budget ! Le maire avait tout dépensé, fidèle à la doctrine des emplois assistés. Il avait gaspillé des fortunes en eau potable pour laver, relaver, délaver les trottoirs afin de secouer l’oisiveté de ses cohortes pléthoriques de fonctionnaires municipaux. Il avait fait installer des feux rouges à chaque coin de ruelle. Par contre, comme il n’était pas sot, il n’avait pas augmenté le nombre de policiers municipaux destinés à mettre des PV aux voitures mal garées. Surtout pas pendant l’année électorale !

Au fond de lui, le maire sentait bien que cette politique passéiste conduisait la France vers le sud, vers la Grèce. Keynes avait affirmé qu’il valait mieux payer un chômeur à creuser un trou et le reboucher que de ne rien faire. Très juste quand la dette publique le permet. Or on la creusait, elle aussi, sans jamais la reboucher. On essayait juste de la creuser un peu moins vite, on appelait ça les efforts budgétaires. Alors forcément le coût du travail augmentait pour résorber les déficits, donc le chômage explosait. Et de nouveaux trous apparaissaient.

Soudain, le maire eut une idée inouïe chez un élu : et si la plupart des mesures que les politiciens prenaient n’allaient pas justement à l’encontre de l’effet recherché ? Vite, il chassa cette pensée audacieuse et déprimante. Le maire n’était pas sot, certes, mais comme ses collègues politiciens, il n’aimait pas l’innovation. À la manière des Égyptiens Anciens, grande civilisation qui déclina parce qu’elle perpétuait les recettes du passé qui ne s’appliquaient plus au temps présent.

Au cours d’une réunion de quartier, il avait été pris à partie par des parents d’élèves qui exigeaient un auxiliaire de circulation pour permettre aux enfants de traverser en toute sécurité le passage piéton devant l’école. Comme il répondait que ce passage ne présentait pas de risque particulier, ils invoquèrent le principe de précaution, insistèrent, trépignèrent. Ils étaient venus en nombre. Aussi, il aurait bien voulu les satisfaire, surtout pendant l’année électorale.

Que faire ? Augmenter les impôts locaux ? Pas durant l’année électorale. Détourner des fonds ? Il réservait cette pratique à son enrichissement personnel. Indécis, il lut une circulaire ministérielle qui venait d’arriver : le gouvernement débloquait, oui, débloquait des crédits pour une nouvelle vague d’emplois aidés, grâce à un énième Très Très Grand Emprunt. Emballez, c’est pesé !

Depuis plusieurs semaines, Kevin, neuf ans, traverse en confiance le passage piéton à la sortie de l’école, grâce à la gentille dame en orange qui arrête les voitures. Il ne regarde même pas avant de traverser : il se sent en sécurité.

Aujourd’hui, la dame n’est pas là. Mais Kevin traverse les yeux fermés, comme d’habitude. Il pleut. La voiture pile.

Demain, l’employé municipal ne creusera pas un trou en vain.
 

  
 

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